Spread the voice n°1
Des situations particulières exigent des formes de communication particulières. Parfois, il arrive que le message complique la situation, et parfois, c’est la situation qui est à l’origine de cette complication. Dans le cas du « Silbo Gomero », le langage sifflé des Gomeros, la communication peut être entravée par ces deux facteurs.
Durant des siècles, les habitants de La Gomera, une île volcanique située dans l’océan Atlantique, ont communiqué entre eux au moyen de ce langage sifflé, élaboré à un point tel que des conversations entières pouvaient être sifflées. De plus, ces derniers étaient même capables de distinguer des dialectes régionaux. Entre 1950 et 1980, le développement des systèmes de télécommunication, le désenclavement de l’île par la création de nouvelles routes, ainsi que de nouvelles possibilités d’emploi dans le secteur touristique dans les îles voisines avaient contribué au déclin du Silbo. Pour inverser cette tendance, le Silbo a alors été enseigné de manière obligatoire dans les écoles, de sorte qu’il est pratiqué dans les hôtels et les restaurants en guise d’attraction locale.
De ce fait, un nouveau contexte a remplacé le contexte original de ce langage sifflé. Il n’existe pas de réponse simple à la question de la signification de cette forme de communication utilisée de nos jours, tout comme la définition d’une identité est toujours un postulat. L’appropriation du Silbo en tant que substitut à l’authenticité, sans traitement historique étayé ou réflexion approfondie, souligne la nécessité de devoir envisager le langage sifflé dans un contexte idéologique plus large. En collaboration avec le maître-siffleur Kico Correa, des historiens et des ethnologues du Museo Etnográfico de La Gomera, mais également avec l’aide d’Arianna Ancarani, linguiste et scientifique de la communication, du musicien et compositeur Werner Dafeldecker, et de la dramaturge Karolin Nedelmann, différentes œuvres ont été créées dans cette optique depuis 2012 à travers des contextes et des formats artistiques divers. Au centre de toutes ces réflexions théoriques et artistiques se trouve le sifflement, comme une espèce de langage codé secret, un langage qui est à la fois une séparation et un lien entre le langage et la musicalité en tant que pratique culturelle. De plus, il s’agit de la forme de communication au niveau sonore le plus élevé sans aide extérieure.
Notre plan pour Bruxelles:
Dans le contexte d’un conflit historique, un vote s’est tenu en 2012 en Lettonie dans le cadre d’un référendum au sujet du bilinguisme du pays. Cette question a constitué le point de départ d’une installation sonore dans le cadre de l’exposition d’art sonore SKAN II 2014 à Riga. Dans la perspective de cette exposition, la tentative de traduire le letton et le russe en langage sifflé a été filmée. C’est ainsi que, durant les enregistrements dans le studio, nous voyons le maître-siffleur Kico Correa lire en letton et en russe, pendant qu’il parle avec nous en français, et qu’il communique avec l’ingénieur du son en espagnol. Et à la fin, il siffle également le script rédigé en letton et en russe. Les enregistrements en question constituent la base d’une nouvelle œuvre, une tentative afin de réaliser une voix off: voix off, doublage, synchronisation de voix, réglage des voix, harmonie des voix, …: tout cela dans le but de savoir qui peut faire valoir son droit à la parole?